dimanche 26 décembre 2021

 

Quelques noëls de Lucien Laforge


Pour Lucien Laforge (1889-1952), la fête de Noël est l'occasion de dénoncer la pauvreté ambiante : 

- celle de la nation, symbolisée par une Marianne pieds nus et en haillons qui n'a donc pas de chaussure à mettre dans la cheminée sur laquelle trône un buste de Clémenceau (cible fréquente de Laforge en 1919-1920).


 L'Humanité , 24 décembre 1919
 Source : gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France

 

- celle d'un monde où les inégalités perdurent. Cette scène de crèche mêle peut-être des témoins de deux époques : d'un côté des rois mages de l'Antiquité ; de l'autre, un vieillard, quelques adultes efflanqués, un éclopé, et des enfants dont un semble mort (de faim ?) qu'on est tenté de penser contemporains .

 L'Humanité , 25 décembre 1919
 Source : gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France

- celle des régions dévastées par la guerre et dont la reconstruction traîne. Un enfant est devant une cheminée sans feu, dans une construction en ruines alors que la neige tombe. Le titre fournit la situation : "dans le nord" [de la France].

 L'Humanité , 24 décembre 1920
 Source : gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de Franc

     Ces trois dessins de Lucien Laforge publiés dans L'Humanité, journal socialiste de la S.F.I.O. (qui ne deviendra l'organe de la Section française de l'Internationale communiste qu'à l’issue du Congrès de Tours de décembre 1920) sont dans la même veine que son Ronge-Maille vainqueur (1920) ou que son Film 1914 (1922), ouvrages dans lesquels il pourfend les fauteurs de guerre et les profiteurs, par des dessins, en noir et blanc, réduits à l'essentiel et accompagnés de légendes mordantes. Michel Dixmier, auteur d'une bel article sur Laforge souligne sa "mise en scène des enfants qui, pour lui, conservent la capacité d'exprimer des vérités interdites aux adultes" [1].

     A compter de juillet 1921, sa collaboration à l'Humanité devient épisodique. Mais son positionnement à gauche et sa proximité du Parti communiste demeurent. Ce dessin de 1927 n'a pas le statut de dessin éditorial de première page. Il se trouve en p. 4, dans la rubrique "Les lettres et les arts" et est accompagné d'un petit article signé des initiales G. A.,  intitulé "Chez Laforge".


 L'Humanité , 25 décembre 1927
 Source : gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France


     Il serait intéressant de faire une recherche sur la façon dont L'Humanité traite la fête de Noël durant l'entre deux-guerres.  Je me limite à un exemple : une bande dessinée publiée dans le numéro du 25 décembre 1921 (p. 4), signée de Pierre-Claude [2], illustrant La véridique histoire du Bonhomme Noël. Le dessin, avec ses silhouettes cernées de traits gras, dénote l'influence de Laforge. Le texte, bavard, ne fait pas preuve de la même verve ironique. S'il reprend le thème des petits sans souliers, il y décrit un père Noël, vieux - comme les sénateurs -, belliciste, devenu mercanti et ami des riches, bref, un vieux qu'il serait souhaitable de remplacer - comme les sénateurs. La dernière image est confuse : est-ce autour d'une cheminée que les enfants dansent ?


 L'Humanité , 25 décembre 1921
 Source : gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France



Notes

[1]- Michel Dixmier," Lucien Laforge, un artiste révolté contre la guerre". In : Doizy, Guillaume et Dupuy, Pascal (dir.).- La Grande Guerre des dessinateurs de presse : postures, itinéraires et engagements de caricaturistes en 1914-1918. Mont-Saint-Aignan : Presses universitaires de Rouen et du Havre, 2016, p. 159-192 [ciation, p. 167]

[2]- Dessinateur de presse mal documenté. La notice du Dico Solo se borne à énumérer 11 titres de journaux dans lesquels il a publié, entre 1914 et 1926.